Les chiroptères, un enjeu majeur de l’éolien en forêt et la laborieuse évaluation des risques pour le Bois de Bouéry.

Publié le par Assodbb - Mailhac sur Benaize

Résumé :

Le Bois de Bouéry, forêt ancienne de 248ha, classé Zone naturelle d’intérêt écologique floristique et faunistique (ZNIEF 1), est à nouveau menacé par l’implantation de 6 éoliennes.

Les évaluations et avis négatifs des différentes autorités administratives et associations sur ce projet avaient mené, en janvier 2020, à un arrêté préfectoral refusant l’autorisation d’exploiter le parc éolien.

Suite à un recours en appel de EDF EN, cet arrêté a été annulé par la Cours d’Appel de Bordeaux sur des arguments incompréhensibles le 26 octobre 2022.

Raisons de notre incompréhension :

Les chauves-souris sont toutes des espèces protégées (habitat et nourriture en diminution, faible renouvellement des populations). Les chauves-souris ont un rôle régulateur vis-à-vis des insectes en chassant la nuit les moustiques, les mouches, les papillons de nuit dont les chenilles peuvent ravager des cultures et des forêts.

Il y a un fort contingent de chauves-souris dans le bois de Bouéry avec 19 espèces représentées sur les 26 que compte le limousin. Ces chiroptères trouvent dans cette forêt le gîte et un territoire de chasse favorables en raison de l’ancienneté de cette forêt (plus de 600 ans), sa composition essentiellement de feuillus et ses nombreuses zones humides.

Pour des raisons non parfaitement identifiées les chiroptères ne détectent pas les pales des éoliennes et meurent à leur proximité par collision ou barotraumatisme.

Cette forêt présente une telle richesse et variété faunistique avec cette importante population de chiroptères, ces nombreux oiseaux dont des rapaces avec certaines espèces protégées ainsi que des amphibiens qu’elle a été classée en Znieff 1 (Zone naturelle d’intérêt écologique floristique et faunistique). Cette forêt est aussi dans un corridor écologique important et dans un couloir de migration de nombreuses grues cendrées.

La destruction d’espèces protégées dans cet espace riche en biodiversité par l’implantation d’éoliennes (6 au sein de cette forêt) est une aberration environnementale.

L’association de Défense du Bois de Bouéry créée en 2014 se bat depuis contre ce projet.

Nous ne sommes pas les seuls après une succession d’avis défavorables :

- La population voisine du parc,
- Les commissaires enquêteurs dans leurs conclusions de l’enquête publique,

- Les services de l’Etat (DDT, DREAL),
- La MRAE (mission régionale d’autorité environnementale)
- Les associations environnementales locales (GMHL, LNE, LPO),
- Le groupe EELV de la Région Nouvelle Aquitaine,
- Le CSRPN (commission scientifique régionale du patrimoine naturel),
- La CDNPS (commission départementale de la nature, du patrimoine et des sites)

Le préfet de la Haute Vienne avait pris un arrêté préfectoral refusant l’exploitation du parc éolien en janvier 2020.

Mais contre toute attente, la Cours d’Appel de Bordeaux, suite à un recours du promoteur EDF EN vient d’annuler cet arrêté préfectoral le 26 octobre 2022. Les risques de l’éolien en forêt sont-ils bien compris ?

« L’effet lisières » du projet n’a pas été compris par la Cours d’Appel de Bordeaux

Pour quelles raisons ?

Article 14 (page 5 et 6) de la décision de la Cours d’Appel de Bordeaux :

On peut lire :

« Pour autant, l’implantation du projet nécessite le défrichement de 2.6954 hectares représentant 1.116 % seulement de la surface totale de la zone boisée qui s’étend sur 248 hectares. S’il est vrai que le projet prévoit l’aménagement de pistes d’accès, de lisières et de clairières artificielles en milieu forestier, aucune espèce protégée n’a été identifiée sur le site d’implantation proprement dit, s’agissant de la flore comme de la faune, et il ne résulte d’aucun élément de l’instruction que la présence ou le fonctionnement du parc éolien seraient par eux-mêmes de nature à porter atteinte à la cohérence écologique du site »

Il y a dans cette remarque deux erreurs d’interprétation :

  1. 1,116 % de défrichement représente peu de surface de la zone totale. Les juges considèrent ainsi que les nouvelles lisières crées par le projet sont négligeables et qu’elles ne constituent pas de pièges pour les chauves-souris. Or, l’efficacité d’un piège ne se jauge pas en fonction de sa superficie. Prenons l’exemple de souris dans une maison de 100 m2 et des tapettes à souris. La surface de 200 tapettes avec un morceau de fromage ne dépasse pas non plus 1 % de la surface de la maison. Néanmoins, peut-on considérer que 200 pièges à souris sont négligeables sur l’écologie des souris dans cette maison ? Non bien sûr ! Ni même pour le chat !

  2. Mauvaise interprétation de la phrase de Calidris qui déclare ne pas avoir identifié de chiroptère sur la zone d’implantation des chauves-souris. Il s’agit en réalité d’une étude portant sur l’existence de gîtes. Calidris, société chargée de l’étude d’impact, a jugé les arbres trop jeunes pour abriter des gîtes à chiroptères. Curieuse évaluation car la majorité des arbres de cette forêt a plus de 60 ans comme le stipule le plan de gestion simplifié signé par la société « Le Merle Blanc » propriétaire d’environ 100 hectares de cette forêt. Par ailleurs, aucune étude acoustique n’a eu lieu précisément sur la zone d’implantation des éoliennes. Les juges ont donc confondu l’absence des chauves-souris pendant leur sommeil le jour sur la zone et leur présence la nuit en activité de chasse sur la zone, ce qui qui est évidemment la phase dangereuse vis-à-vis de l’éolien en forêt. Pour les juges, pas de chauves-souris le jour sur la zone = pas d’atteinte du projet à la cohérence écologique du site !

Histoire d’une roublardise du tandem EDF EN / Calidris

La nécessaire création de voies d’accès aux éoliennes installées dans une forêt est un facteur majeur d’incompatibilité des projets éoliens en forêt. Ces voies d’accès constituent de nouvelles lisières qui, en reprenant notre parallèle avec les tapettes à souris, représentent de nouveaux morceaux de fromage menant aux tapettes que sont les éoliennes.

Pour contourner cette difficulté, la stratégie de EDF EN a été de scinder le projet en deux demandes d’autorisations. Une première demande de permis de construire avec défrichement et une seconde demande d’autorisation d’exploiter.

La demande de défrichement leur a permis dans un premier temps de créer des voies d’accès. Il n’est alors pas question d’éolienne dans cette demande et les nouvelles lisières créées ne représentent pas de nuisance majeure pour les chauves-souris. Calidris a même osé écrire que cette création allait améliorer l’écologie des chiroptères. Ce qui est vrai s’il n’y a pas d’éolienne. D’ailleurs, en revenant à notre exemple de souris dans une maison, la présence de nouveaux morceaux fromages sans tapette sera favorable aux souris. Par ce subterfuge, EDF EN a fait annuler la décision du tribunal administratif de Limoges qui avait annulé l’arrêté préfectoral validant le permis de construire par un recours au niveau de la Cours d’Appel de Bordeaux.

Dans un second temps et de façon séparée, EDF EN a fait une demande d’autorisation d’exploiter en s’appuyant sur une étude d’impact qui ne tient pas compte des lisières précédemment créés puis qu’elle étudie l’état initial de la zone non modifiée par le projet. Le tour est joué, l’étude d’impact ne tient compte que des éoliennes, c’est-à-dire des tapettes sans le fromage !

Malheureusement un caillou dans la chaussure d’EDF EN / Calidris a été placé par le CSRPN qui avait repéré la supercherie et dénoncé l’incompétence de Calidris qui prétendait que les nouvelles lisières étaient favorables à l’écologie des chiroptères alors que c’est le contraire. C’est alors qu’EDF EN, croyant soulager son complice CALIDRIS, s’est mise en mauvaise posture en falsifiant un document Eurobats (pièce jointe).

Dans sa réponse au CSRPN, EDF EN cite un texte d’Eurobats en le tronquant de sa dernière phrase : « La construction de parcs éoliens (y compris les infrastructures connexes) peut aussi accroitre la qualité de l’habitat de chasse pour les chauves-souris. Par exemple, une augmentation du nombre de clairières et de lisières intérieures en forêts et l’attirance qu’elles exercent sur les insectes volants dans des paysages sinon moins structurés pourrait entrainer une augmentation de l’activité des chauves-souris.»

Or, le texte complet d’EUROBATS mentionne que:

«La construction de parcs éoliens (y compris les infrastructures connexes) peut aussi accroitre la qualité de l’habitat de chasse pour les chauves-souris. Par exemple, une augmentation du nombre de clairières et de lisières intérieures en forêts et l’attirance qu’elles exercent sur les insectes volants dans des paysages sinon moins structurés pourrait entraîner une augmentation de l’activité des chauves-souris et donc du risque de mortalité.»

Ainsi, EDF EN a manipulé le texte d’Eurobats à dessein de tromper l’opinion publique, la commission d’enquête et le Préfet en tronquant de manière grossière la fin du texte, modifiant ainsi le sens du texte d’Eurobats. En conséquence, dans un contexte éolien et contrairement à ce qu’indique le pétitionnaire, la création de lisières augmente le risque de mortalité des chauves-souris.

EDF EN ajoute dans sa réponse au CSRPN : «  concernant l’observation relative à l’incidence du défrichement des bois, il augmentera les linéaires des lisières, ce qui augmentera les linéaires de zones favorables au transit et à la chasse des chiroptères et sera susceptible d’améliorer les conditions écologiques pour les chiroptères en augmentant les zones de chasse ». Le fromage est également favorable aux souris mais qui oserait dire que le fromage sur des tapettes est favorable aux souris ?

Il est évident que la création de pièges à chauves-souris a été volontairement camouflée par EDF EN.

La laborieuse compréhension des risques

Notre exemple qui remplace la forêt par la maison, les chauves-souris par des souris, les lisières par le fromage et les éoliennes par des tapettes, permet – nous l’espérons – de mieux comprendre la singularité de ce projet et l’effet néfaste des lisières artificielles crées dans les projets éoliens en forêt.

Pourtant dans, son mémoire, la préfecture a relevé de manière documentée ce risque :

« En outre, dans le cadre de l’élaboration de l’avis de l’autorité environnementale, le service eau environnement forêt risques de la DDT de la Haute-Vienne avait communiqué son avis à la MRAe.

Ce dernier, en janvier 2018, avait en particulier analysé l’évaluation des incidences Natura 2000 et pointé du doigt la zone d’implantation du parc éolien qui était identifiée comme le territoire de chasse de 7 espèces de chiroptères ayant justifié la désignation de sites Natura 2000 à proximité. Il avait rappelé l’accord relatif à la conservation des chauves-souris en Europe, dit EUROBATS, indiqué supra.

Il avait souligné que :

« La création des voies d’accès aux éoliennes et le défrichement autour des éoliennes va effectivement entraîner une augmentation du territoire de chasse, augmentant de ce fait l’activité des chauves-souris à proximité des éoliennes et le risque de mortalité. Cette modification de l’habitat des chauves-souris n’a pas été prise en compte dans les études réalisées ce qui implique que les impacts probables sur ces espèces sont sous- évalués »

(production n°13 – avis DDT Haute-Vienne – 12.01.2018). »

Néanmoins, les juges de la Cours d’Appel de Bordeaux n’ont pas compris et ont fait une erreur d’appréciation dans leur jugement.

Ils n’ont pas compris l’insuffisance de l’étude d’impact qui ne tient pas compte d’une situation future engendrée par le défrichement. L’étude d’impact porte sur l’état initial des lieux et non sur l’état modifié par le projet.

Ils n’ont pas compris que la séquence Eviter-Réduire-Compenser du code de l’environnement n’a pas été respectée. Au risque inhérent à tout projet éolien vis-à-vis des chiroptères notamment, la création de lisières dans une forêt doit être considérée comme un risque supplémentaire et non un avantage. Ainsi la séquence ERC (Eviter, Réduire, Compenser) est transformée par le projet en une séquence ARC (Augmenter, Réduire, Compenser).

Les chiroptères, un enjeu majeur de l’éolien en forêt et la laborieuse évaluation des risques pour le Bois de Bouéry.

Le schéma ci-dessus illustre l’incompatibilité de l’éolien en forêt par la création de lisières artificielles ainsi que l’insuffisance des études d’impact réalisées sur un état initial nécessairement non représeantatif de la future zone en exploitation.

NON ! Le préfet de la Haute Vienne n’avait pas fait d’erreur de jugement lorsqu’il avait pris un arrêté préfectoral refusant l’exploitation du parc éolien en janvier 2020.

 

NB : GMHL : Groupe Mammalogique, Herpétologique du Limousin
LPO : Ligue de Protection des Oiseaux
LNE : Limousin Nature Environnement
DDT : Direction Départementale des Territoires
DREAL : Direction Régionale de l’Environnement
, de l’Aménagement et du Logement

Publié dans justice

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